La trilogie

animalité

combat spirituel  ou conversion

félicité ou beauté spirituelle

des sculptures romanes de 

Saint Christol d'Albion (84)



Photos de Bernadette PLAS et Alain DELIQUET

VOIR à la fin "faisons parler les sculptures..."

 

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Texte de Guy Barruol  (Provence Romane II, collection "la nuit des temps" N°46)


    SAINT-CHRISTOL-D'ALBlON

Situé dans le diocèse d'Apt, mais à la limite des évêchés de Sisteron et; de Carpentras, qui se partageaient le plateau d'Albion, le village de Saint-Christol doit sa création et son développement aux bénédictins de l'abbaye Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon et à la Maison d'Agoult. 

Dès 1118 en effet, le pape Gélase II confirmait à l'abbaye rhodanienne « l'église de Saint-Christophe avec son village et son terroir ». Mais en 1160, l'évêque d'Apt Guillaume, recensant les prieurés que cette abbaye possédait dans son diocèse, précise, en ce qui concerne Saint-Christol, que sa donation avait été le fait de son prédécesseur Laugier. Détail très important, quand on sait que Laugier - l'un des plus grands évêques d'Apt, dont il occupe le siège de 1103 à 1130 environ - était un membre éminent de la famille d'Agoult, qui détenait, en plus d'une partie de la vallée d'Apt, la quasi-totalité du plateau d'Albion, du mont Amaron, des vallées de Sault et de Banon. Laugier d'Agoult a donc donné à l'abbaye Saint-André - entre 1103 et 1118 -un terroir qui lui venait de sa famille et sur lequel existaient déjà une église et une petite agglomération non fortifiée (villa), dont la création ne devait pas être très ancienne, si l'on en juge par le toponyme hagiographique qui, dans le Sud-Est de la France, n'est généralement pas antérieur au XIe siècle; par ailleurs, il semble que ce village n'existait pas encore en 1082, lorsque Ripert de Mévouillon donne à l'abbaye de Cluny tous les biens qu'il possédait sur le plateau d'Albion : s'il eût existé, il eût compté parmi les confronts de ce vaste domaine, connu plus tard sous le nom du Revest-du-Bion.

Les limites du terroir de SAINT-CHRISTOL appartenant à Saint-André sont connues par une sentence arbitrale de 1270 : il comportait le village proprement dit, qualifié alors de castrum, et les terres fertiles qui l'entouraient, à l'exception des vastes espaces incultes ou boisés du mont Amaron et du plateau, dont les d'Agoult avaient gardé la propriété et qui seront, au XIIIe siècle en particulier, progressivement défrichés et mis en culture  par des colons et, pour une part, cédés à l'abbaye de Sénanque. Plus important que le prieuré voisin de Saint-Trinit, auquel n'était rattaché qu'un modeste terroir rural, Saint-Christol n'en resta pas moins, pendant tout le Moyen Age et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, une modeste succursale de l'abbaye de Villeneuve-les-Avignon, une maison où vivaient seulement un ou deux religieux attachés au service de l'église locale.

L'église. 
Structure et ordonnance intérieure

Située dans la partie haute du village, la priorale, sous le vocable de  Notre-Dame et de saint Christophe, présente aujourd'hui deux parties  nettement distinctes, l'une romane, l'autre gothique (classée M.H. 14.6.1909).
L'église romane est un édifice très simple dans son ordonnance générale, comportant une nef de trois travées, prolongée par une abside semi-circulaire. Les murs latéraux de la nef &mdash de construction romane jusqu'au niveau des naissances de la voûte - sont creusés de grands arcs de décharge en plein cintre à double rouleau; ils présentent aujourd'hui un  fruit considérable, dû à une poussée excessive de la voûte primitive qui paraît s'être effondrée au début du XVIIe siècle. La reconstruction des parties hautes de la nef se fit alors en deux temps. Un acte notarié de l'année 1644 (notaire Montjallard à Saint-Christol)  nous apprend qu'on confia d'abord à Antonin Jouffray, maître maçon à Saint-Michel, le soin « d'abattre la voûte de la tribune..., de faire trois arcs-doubleaux aux piliers qui sont dans ladite église pour supporter la charpente; de faire six fenêtres; de construire un clocher en pierre de taille pour trois cloches... ». 

Ces arcs-doubleaux, qui ne sont pas ceux que nous voyons aujourd'hui, ils maintenaient alors une charpente dont la légèreté ne risquait pas de faire effondrer toute l'église. Quant aux fenêtres, s'il est vraisemblable que celles du Nord aient été percées dans un mur anciennement aveugle (elles ont été supprimées lors de la construction du bas-côté Nord), il ne devait s'agir que de l'agrandissement des ouvertures existantes dans la façade méridionale, baies indispensables à l'éclairage de l'édifice : ce sont ces fenêtres, réalisées en 1644, que l'on voit aujourd'hui du côté Sud.  

La construction du clocher dans l'angle Sud-Est de l'église et l'agrandissement de la baie ouverte dans la troisième travée  ont alors rendu nécessaire l'obturation d'un portail en plein cintre, dont on voit encore les traces à l'intérieur (piédroit oriental de la porte du clocher) et à l'extérieur : il ouvrirait dans un jardin quadrangulaire, au centre duquel se trouve une citerne qui pourrait correspondre au centre d'un petit cloître depuis longtemps disparu. Un peu plus tard, en 1688, lorsqu'on construisit le bas-côté Nord, la couverture de la nef principale fut refaite en maçonnerie : elle est alors constituée par trois voûtes d'arêtes juxtaposées, séparées par des arcs-doubleaux et soulignées par des nervures saillantes retombant sur des culs-de-lampes dont quelques-uns sont décorés. Cette nouvelle couverture se trouvait toutefois à un niveau sensiblement plus bas que celui du berceau d'origine, dont les arrachements sont encore visibles sur les faces internes des murs pignons, observables dans les combles de l'édifice. On peut aussi le déduire de la position très élevée des restes encore discernables de la grande baie qui s'ouvrait primitivement dans la façade occidentale et qui a dû être obturée au profit d'une fenêtre plus étroite et plus basse ouverte en 1688. Au cours de la même campagne de réfection, on établit une porte dans l'axe de la façade occidentale de la nouvelle construction, une entrée précédée d'un porche, ce qui explique la dimension plus restreinte de la première travée; cette ouverture fut d'ailleurs supprimé moins d'un siècle plus tard, peut-être pour des raisons de sécurité, la façade Ouest du monument donnant sur la campagne et la montagne proche de l'Amaron.

La nef romane ouvrait sur une abside semi-circulaire, décorée d'une arcature aveugle reposant sur un haut mur bahut et supportant une voûte en demi-coupole soigneusement appareillée, l'ensemble constituant le support d'un somptueux décor sculpté, analysé plus bas ; le sanctuaire est éclairé par une baie axiale en plein cintre ébrasée vers l'intérieur.

Le bas-côté Nord, dont la construction fut rendue nécessaire par l'accroissement de la population locale, fut réalisé entre 1688 et 1690 Une inscription garde le souvenir de cette campagne de travaux :

I . A . 1688
ACHEVÉE   .    1690
I.   A.   DE   VILLEMUS

Le prix-fait de cet agrandissement, passé en l'étude du notaire Denis Barbier de Sault, le 8 mai 1688, confirme le bien-fondé de cette inscription. Il nous fait connaître le détail du travail commandé. Le maître d'&oeliguvre était « Jean Aubert, maçon du lieu de Villemus »; il devait réparer l'église et l'agrandir vers le Nord par l'adjonction de trois travées : ce sont celles que nous voyons aujourd'hui. Pour réunir les deux édifices, on éventra le mur Nord de l'église romane sous les arcs de décharge. La nouvelle construction était d'un style gothique attardé, à voûtes d'ogives retombant sur des culots en haut relief (dont deux têtes humaines).
C'est en 1763 seulement, à la suite d'une visite de l'évêque d'Apt que l'autel majeur, qui se trouvait jusqu'alors « dans un sanctuaire fort étroit et formant irrégularité dans l'église »... (!) (il s'agit du choeur de l'église romane), fut placé contre le mur occidental. Il fut aussi décidé, pour plus de commodité, de transférer l'entrée principale - un portail de style classique - de la face Ouest à la face Est du bas-côté Nord, soit du côté du village, où elle est encore aujourd'hui.

Élévation extérieure de l'église

Dans son état actuel, l'élévation extérieure de l'église ne présente pas un très grand intérêt architectural et n'autorise qu'un nombre limité d'observations, du fait des nombreux remaniements dont cet édifice a fait l'objet, y compris les plus récents, qui ont eu pour effet d'uniformiser tout le parement extérieur du monument, sans respecter ses différents états.
La partie la plus intéressante est le chevet, pentagonal, aux mur nus, dont seuls les angles sont actuellement appareillés, mais qui à l'origine l'était peut-être entièrement; il est couronné par une simple corniche débordante et couvert de lauses. Le mur pignon qui le domine porte encore les traces de son revêtement primitif en petit et moyen appareil (traces d'une baie obturée dans l'axe ?). Dans la partie haute de la façade méridionale, les corbeaux qui subsistent marquent le faîte des murs gouttereaux à la suite des aménagements réalises au XVIIe siècle : ils étaient destines à porter des chenaux de pierre ou de bois; c'est a une époque très récente que ce mur a été surélevé, pour la mise en place d'une toiture sur charpente qui couvre les deux nefs. L'édifice primitif ne comportait pas, semble-t-il, de contreforts.
Les nombreuses réfections subies par cette église rendent incertaines les observations que l'on peut faire concernant 1'appareillage du monument. A l'intérieur comme à 1'extérieur, seules les parties maîtresses de l'édifice - choeur, piliers, arcs, chaînages d'angles, encadrement des baies... - sont en moyen appareil à joints fins, les murs proprement dits étant parementés en moellons généralement réguliers et de petites dimensions. Sur les blocs d'appareil figurent, ça et là, des signes lapidaires (nombreux A dans le choeur, un E sur un pilier de la nef) et des traces de taille décorative (voir en particulier les piliers de la nef et les angles externes du clocher montés avec des blocs en remploi). (Voir ci-après, en note, la description détaillée du choeur).

Conclusion et chronologie


Décoré avec une richesse exceptionnelle, avec un luxe même qui surprend en Haute-Provence, ou seuls les grands prieurés clunisiens de Ganagobie et de Saint-André de Rosans présentent une ornementation sculptée de quelque envergure, le sanctuaire de 1'église de Saint-Christol est un véritable répertoire de plantes et d'animaux - un condense de tout ce qui vit sur Terre dans 1'environnement de l'homme -mais aussi d'êtres fabuleux. L'animal entre ici dans la création d'êtres hybrides, essentiellement irréels, imaginaires mais toujours équilibres et paraissant organiquement prêts à vivre; leurs regards fascinants convergent vers 1'autel, vers la nef et vers les fidèles : nous admettrions presque la réalité de leur existence... Dans ces combinaisons fantastiques, dans ces fusions, on ne sait si c'est 1'animal qui se transforme en homme, ou l'homme qui n'est pas encore sorti de son animalité primitive. Dans tous les cas, le premier constat du naturaliste est insuffisant : il faut aller plus loin et essayer de pénétrer le sens profond prêté à ces représentations par la mentalité médiévale. Si, comme à Ganagobie, il est difficile de distinguer ce qui est pur ornement de ce qui se voulait instructif et moralisant, il n'est pas possible qu'il n'y ait dans ces figurations un message, la traduction dans la pierre d'une théologie toute simple, robuste et ferme, le rappel des exigences essentielles de la foi : tout 1'espace sacré qui entoure 1'autel est ici orienté d'une part vers 1'exaltation de 1'Eucharistie (lions gardiens de 1'autel, pélicans, vigne...), d'autre part vers la stigmatisation des vices (monstres divers, symboles des passions sauvages; lutte du Bien et du Mal).
Cet ensemble parait aussi unique en Provence en ce sens que le décor de toute cette abside est homogène, tant du point de vue stylistique que symbolique; tout y est ordonne et organisé jusque dans le détail; il y a une symétrie et des face-à-face volontaires, une harmonisation entre le décor végétal et le décor animalier, une complémentarité entre les différentes représentations, souvent ambivalentes.

II faut souligner enfin la qualité plastique de ces sculptures, où 1'antique dont s'est inspire le décorateur est assimile et transpose en restant sobre. Aucune surcharge ne rompt 1'équilibre qui caractérise 1'art roman de Haute-Provence.
Toutes les observations stylistiques et techniques qui ont été faites permettent de situer chronologiquement la construction de cette église dans le troisième quart du XIIe siècle, ce que ne contredit pas la graphie de la dédicace romane, heureusement conservée. Cette dédicace, actuellement placée dans 1'édifice au revers du pilier Nord-Ouest, à hauteur d'homme, porte, en belles capitales, L'inscription suivante :
III : N : OC : DEDI 
CACIO  :  ISTIVS
ECLESIE.
« Le 3 des nones d'octobre (soit un 5 octobre), dédicace de cette église ». La confirmation de la possession du prieure de Saint-Christol à L'abbaye de Saint-André en 1160, par Guillaume, évêque d'Apt, ne couronnerait-elle pas le début ou la fin des travaux de construction de cette église ? 





"FAISONS PARLER LES SCULPTURES de SAINT CHRISTOL d'ALBION:

ou du moins essayons ..."

Les sculptures du choeur de Saint-Christol sont exceptionnelles par le fait qu'elles présentent une série cohérente montrant une évolution voulue par le sculpteur.

Alors qu'un chapiteau isolé est difficile à interpréter, une série cohérente permet mieux de comprendre le message transmis.
Il se trouve que tous les indices sont déjà identifiés dans le glossaire sur ce site et je me réjouis donc de pouvoir confronter les hypothèses à la réalité, le propre d'une démarche scientifique.




Plan page 284 dans Provence tome II de "La nuit des temps"


Le motif de la cage est assez courant, il y a des symboles emprisonnés et d'autres accrochés à l'entrelacs, des forces positives et d'autres qu'il faut maîtrise
Toutes les colonnes ont cette forme:
un chapiteau
un fût orné de sculptures
une base de colonne en sculpture plus monumentale.

Les colonnes extrême droite et gauche n'ont pas de sculptures monumentales à leurs bases, car celles-ci sont cachées lorsque l'on se trouve dans les stalles disparues depuis.

Fût de la colonne orné d'un entrelacs symbole d'éternité
(Ce n'est pas un rinceau comme le dit Guy Barruol)
A l'intérieur des cages, comme emprisonnés ou mis en valeur
 plein de symboles que je laisse aux volontaires car je ne décrirais ni
les chapiteaux ni  les fûts des colonnes, pour me concentrer sur les sculptures des bases.


Scotie ornée de boules, symbole de perfection

Sur le chapiteau coiffant la colonne adossée:
grappe de raisins
feuillages floraux

Le chapiteau et le fût sont séparés par l'astragale, il n'y a pas continuité.


Sur la colonne un entrelacs formant des cages
Dans les cages:
des fleurs stylisées
un ruban perlé et spiralé accrochées à l'entrelacs
des feuilles de vigne accrochées à l'entrelacs
Une colombe
Un volatile derrière la cage picorant une grappe de raisin ou bien une grenade.
Un ours
pris derrière la cage tenant dans sa gueule une boule.

Le ruban perlé c'est la règle
La spirale c'est l'intériorisation vers le spirituel
La grappe de raisin ou la grenade sont symbole de fécondité
L'ours c'est un carnivore symbole des vices qui dévorent l'âme
La boule c'est l'unité, la perfection opposée à la division de l'âme (barbe bifide)






Le chapiteau supérieur sur la colonne montre un décor floral.

Le fût offre des barres torsadées lévogyres, avec entre les lignes
des motifs qui semblent se répéter.
Des fleurs de lys stylisées?
ou deux paires de feuilles lancéolées dont deux s'ourlent?
Des sortes de virgules accrochées les unes aux autres?

A la base:


Un ange sonnant du cor ou chauphar, qu'il tient entre ses mains

C'est le rappel que l'âme sera jugée
et qu'il faut s'y préparer...
Remarquez la coiffure torsadée, symbole d'intemporel



SAINT-CHRISTOL

Un quadrupède à visage humain
Un léonin symbole du vice dans l'âme.
Un visage barbu symbole du vieil-homme
Une barbe bifide symbole de l'âme partagée entre terre et ciel
Des mains (actions) qui se cramponnent à cette barbe.

C'est la première phase de la trilogie que l'on trouve associée à la sirène:
ANIMALITÉ
CONVERSION
FÉLICITÉ

(Cette trilogie se retrouve sur le tympan de Vézelay au dessus du Christ en majesté, et dans l'église haute Saint-Eutrope de Saintes)




CONVERSION
Le léonin en plein combat spirituel, aux prises avec un serpent.
Le serpent à l'époque est celui que Ève a écouté, l'humanité en a perdu le paradis terrestre. C'est le péché de chair (à l'époque déjà et qui persiste dans la croyance populaire). Le léonin c'est la force virile qu'il faut sublimer, c'est aussi la caractéristique du vice menaçant cette âme, qui n'est autre que le péché de chair.
Sur un pilier en forme de colonne, une boule.
Le pilier c'est le pilier de l'Église au propre et au figuré, c'est pour un monastère l'abbé de la communauté ou son prieur.
Ce dernier vise la perfection de l'âme.
A l'époque l'on confond sainteté et virginité, sainteté et célibat des clercs, sainteté et chasteté, le corps de l'église est en effet très confronté à cette problématique.



Le résultat du combat gagné sur le serpent:
Une sirène symbole de beauté spirituelle.
Le but à atteindre pour les moines, le prieur et l'abbé, représentés par les colonnes qui sont par ailleurs les piliers de l'Église.
C'est la sainteté, c'est la promesse du paradis, la félicité.
Le fût ne montre plus une cage mais des volatiles lissant leurs ailes (consolidation des acquits spirituels) en entourant des cordes (la communauté).
L'ours est devenu volatile, la spiritualité a gagné le combat, c'est la conversion intérieure.


FÉLICITÉ ou BEAUTÉ SPIRITUELLE.


 

 


 














Alain Deliquet Février 2022


Voilà les chapiteaux ont bien parlé !


Vers les photos surdimentionnées

Le descriptif trouvé dans l'édifice en pdf (clic)

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