son 

Le cingle plongeur de CONQUES

Rien à voir avec le tympan: c'est le cingle plongeur, sous le pont romain de CONQUES qui pêche sous l'eau, splendide!


Regard sur le TYMPAN de la basilique

de CONQUES en Rouergue.


Textes de Juliette Rollier, Arts et Métiers ParisTech
Adrien Gaillard, INP
Alexandre Mazuir, Arts et Métiers ParisTech.

Photos d'Alain DELIQUET sauf les photos encadrées dans le blanc qui sont tirées de l'ouvrage ci-dessus. 


Mes photos sur ce site peuvent être utilisées exclusivement à des fins non commerciales après autorisation et sous réserve de mentionner la source:
"Site Belle Saintonge" ou "Alain Deliquet"

L'étude laser qui suit n'a pas révélé l'existence de différentes époques dans la réalisation du tympan,
dès lors, les deux derniers linteaux sous les scènes infernales seraient d'époque,
et cela m'interroge!

Pourquoi cette écriture bâclée pour terminer le message?
Ce "F" a peine tracé, qui n'est probablement pas d'époque?
Ce "VTVRVOO" travail d'amateur? Les spécialistes y voient "FUTUR"

Il me semble plutôt un ajout postérieur?

Et pourquoi n'y a t-il plus de message sous la représentation de l'enfer?
N'est-ce pas la persistance que l'opposé du sein d'Abraham c'est le néant, le rien ?

Pourquoi les balances penchent toujours du bon côté?
Croit-on réellement à l'enfer au XIe, puisqu'il n'est jamais représenté
sur les chapiteaux de nos églises campagnardes?


Pourquoi n'y a t-il pas de résurrection côté des damnés?
Peut-on ressusciter du néant ?

Est-ce notre imaginaire qui voit des représentations du futur sur ce tympan?
Nous sommes formatés pour associer parousie, fin des temps et jugement dernier.

Et ce paradigme commence à être montré sur le tympan de CONQUES.

Mais j'y vois le sculpteur hésiter encore
J'y vois bien le présent et le futur pour les élus mais

qu'en est-il des damnés?

Voici un court texte pour se plonger dans la pensée de l'époque:

Orderic VITAL rapporte le témoignage de Walchelin, jeune prêtre attaché à l’église de Bonneval:

Dans la nuit du 1er janvier 1091, pétrifié par le spectacle, il a vu passer une armée immense, au sein de laquelle se trouvaient des personnes décédées récemment sans avoir eu le temps de se repentir de leurs crimes. Il y avait là des gens de toutes conditions sociales, y compris des ecclésiastiques.
Ils gémissaient, se plaignaient de leurs tourments. Un seul point commun: tous avaient gravement pêché et formaient une horde noire, crachant le feu.

Les notions de "royaume de Dieu" et d "enfer"
étaient-elles en questionnement?

ou plutôt en recadrage, en repositionnement
en relation avec le jugement dernier?

Voyons tout cela de plus près !

Suivent deux parties:

La première reprend intégralement le texte d'une étude scientifique sur ce tympan.

La deuxième relate mes remarques et questionnement.

Bonne découverte.


J'aime bien sortir des sentiers battus et plutôt que de reprendre une des multiple description, je vous propose une thèse
qui a utilisé le laser pour dater les différentes zones de ce tympan, et ensuite j'expose un questionnement sur les
croyances au ciel et à l'enfer au XIe,
(le purgatoire est en gestation) sous l'éclairage de ces sculptures.

1_ Le relevé laser comme outil pour l’étude
de la façade de Conques.

J'y ai ajouté des photos.

 Laser scanning enable us to study the fassade in a renewed way.


Introduction

La fondation d’un premier ermitage à Conques remonte à l’époque carolingienne. La documentation situe les faits dans un contexte d’invasion sarrasine, sous Louis le Pieux, alors en route pour le siège de Barcelone 1. Vers 795, un certain Dadon, occupait l’ermitage. L’abbaye, construite entre 817-819, reçut le privilège d’immunité et la protection de Louis le Pieux, qui la dota également de terres et de onze églises. Suite à l’arrivée des reliques de sainte Foy en 866, l’abbaye connut un développement rapide, avec un afflux de donations et le développement d’un pèlerinage régional. Entre 924-984, l’abbé abbé Étienne Ier fit construire une nouvelle basilique qui disposait d’une nef centrale charpentée, avec des bas côtés et trois absides.



Dans le Livre des miracles de sainte Foy de Conques, le lieu apparaît tout d’abord comme un pèlerinage régional, avec des personnes affluant du Midi languedocien, de Catalogne et du Nord (Normandie, Alsace, Alémanie) 2. C’est probablement au XIIe siècle que Conques devint une étape vers Compostelle.



Entre 1031-1065, l’abbé Odolric construisit une nouvelle abbatiale plus grande, selon un plan en croix latine, muni d’une abside à déambulatoire et de chapelles rayonnantes, rattachant ainsi l’église de Conques aux grandes églises de pèlerinage comme Saint-Martin de Tours, Saint-Martial de Limoges, Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Jacques-de-Compostelle. L’achèvement du chevet se situe vers 1065, tandis que la nef ne fut terminée qu’au début du XIIe siècle. La construction de la façade et du tympan se situent probablement entre 1097-1107, sous l’abbé Bégon III, qui fut un grand constructeur. Entre 1130-1140 toute la travée occidentale de la nef fut remaniée, ce qui permet de supposer qu’il existait peut-être une vaste avant-nef pour accueillir les pèlerins à l’entrée de l’église, et ce qui sous-entendrait que le portail se trouvait à l’intérieur. Un changement dans le parti de construction, visible dans les premières travées de la nef actuelle, a été analysé par divers spécialistes 3 (fig. 1).

Étude documentaire

L’église de Conques a subi divers événements au cours de son histoire. Entre 1460 et 1490 ont lieu d’importants travaux 4. En 1537 la communauté de moines bénédictins est dissoute et Conques devient un chapitre de chanoines. En 1568, l’abbaye est ravagée et incendiée par les Calvinistes ; les tours de façade et le clocher sont rasés. des réparations sont intervenues au XVIe siècle, avec un repeint probable du portail sculpté. En 1628, la peste décime la population du village. Avec la Révolution de 1789, les chanoines sont dispersés et la municipalité de Conques n’a plus les moyens d’entretenir le bâtiment qui tombe à l’abandon et menace ruine en 1825 car le conseil de fabrique écrit au Préfet : “si vous ne prenez pas de promptes mesures, le peuple et ses ministres du Culte risquent d’être écrasés par la ruine très prochaine de la tour lanterne”.
Ce n’est qu’en 1835 qu’un devis de rénovation est établi par Étienne Boissonnade, architecte et conservateur des monuments historiques, avec un rapport parlant des couvertures très déficientes, du soubassement des façades nord et Est qui sont enterrés par un talus de trois quatre mètres, servant de cimetière, avec des murs rongés par l’eau et le gel. La plupart des fenêtres étaient alors bouchées et l’église était insalubre.

CONQUES 2012
Fig 1  La façade

Le voyage dans le Rouergue de Mérimée (30 juin-1er juillet 1837), accompagné de Stendhal et Boissonnade, marque le début d’une prise de conscience générale. Mérimée établit un rapport de dix-huit pages, complété par des plans, coupes et dessins de la façade.

https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_2009_num_2007_1_10777

 Un chantier de rénovation a lieu entre 1836 et 1849, sous la direction de l’architecte Boissonnade qui fait réaliser un drainage de la face nord, rétablir des charpentes et des couvertures, ainsi que la reprise en sous-oeuvre des parements extérieurs et la réouverture des fenêtres 5. L’édifice est ensuite classé en 1838 sur la liste des Monuments historiques.
Mérimée décrit les traces de polychromie (1837-1838) en ces termes : “j’aurais dû remarquer plus tôt que toutes les figures sont peintes, et quoique les couleurs semblent assez modernes, elles sont appliquées sur une couche ancienne de même teinte, et visible encore en quelques points”. À cette époque, plusieurs couches de badigeon sont retirées à l’intérieur de l’église. des restes polychromes sont repérés sur les chapiteaux de la croisée de choeur, qui pourraient être mis en relation avec le portail.
Ces restes sont encore bien visibles en 2014.

En 1873 l’évêque de Rodez restaure le culte de sainte Foy et introduit les Prémontrés.
 Cela suscite un nouveau chantier de rénovation, sous la direction de l’architecte Jules Formigé qui reprend intégralement la façade (1879) 6, démonte le portail roman (1883), en stockant les blocs dans l’église, pour le faire remonter quelques années plus tard (1886) avec des agrafes de maintien sur les blocs cassés. Une aquarelle de Formigé (1874) montre la façade avant restauration. Selon le témoignage de Bouillet (1892) “l’intrados de l’archivolte était aussi peint” (un faux-appareil est visible sur la photo de Séraphin-Médéric Mieusement (1840-1905) 7. De nouveaux travaux ont lieu en 1907, sous l’architecte Laffilée (ravalement, jointoyage, injections au niveau de la tour du transept). C’est Marcel Aubert qui rédige une première étude monographique sur Conques en 1937.
 Paul Deschamps supervise une campagne de moulage en 1939, suivie d’un nettoyage par les Monuments historiques. Une voie d’accès est aménagée autour du chevet entre 1943 et 1952, en supprimant des servitudes de passage entre les jardins suspendus du cloître. Les mouvements du terrain, en forte pente, sur lequel est construite l’église provoquent des fissures et une déstabilisation, marquée par la chute d’un chapiteau à la croisée du transept (1979). Afin de mieux comprendre la dynamique du bâtiment, des relevés photogrammétriques 8 ont été réalisés, ainsi que la mise en place de témoins de verre sur les fissures les plus caractéristiques,
 ce qui permet d’observer ces mouvements.
Une monographie a été publiée par Éliane Vergnolle 9 en 2009, accompagnée de plusieurs relevés permettant de mieux comprendre les étapes de construction. Les travaux de Lei Huang complètent ces données à l’aide de cartographies précises des matériaux de construction et de marques lapidaires 10.



CONQUES
(Fig2_Faire deux clics pour agrandir)


ICONOGRAPHIE

Comme l’a dit Éliane Vergnolle, l’iconographie du tympan n’est pas inspirée par l’Apocalypse, mais plutôt de l’Évangile de Mathieu (chap. XXV, 31-46).
Au centre, le Christ en Majesté, surmonté d’une grande croix, est entouré d’anges. À sa droite se trouvent Marie, saint Pierre et l’abbé Dadon (le fondateur), suivis d’un cortège de personnages importants.
Sous les pieds du Christ a lieu la Pesée des âmes. À droite du Christ, nous voyons les élus au Paradis, et à gauche, les damnés qui subissent diverses tortures en Enfer (fig. 2 et 8).

Un double linteau en bâtière présente le Paradis et l’Enfer. Sur le linteau gauche, un ange,


debout devant la porte du Paradis, accueille les élus.


Fig4   Au centre d’un édifice à arcatures se trouve Abraham, entourés d’élus.




Juste au-dessus de lui, sainte Foy est bénie par la main de dieu, à côté des menottes des prisonniers qu’elle a libérés


Toute la partie droite du portail est occupée par l’enfer où Satan châtie les péchés capitaux et de nombreux damnés.
Sur le linteau on reconnaît l’ORGUEIL,


 représenté par un chevalier désarçonné d’un cheval,


l’AVARICE montré par un personnage avec sa bourse suspendue à son cou,
 la MÉDISANCE par un homme dont la langue est arrachée,


 l’ADULTÈRE représenté par une femme, poitrine dénudée, liée par le cou à son amant (fig. 8).

L’inscription gravée sur le linteau exhorte les fidèles : “Pécheurs, si vous ne réformez pas vos moeurs, sachez que vous subirez un jugement redoutable”. Ailleurs sur le portail, les inscriptions d’époque romane sont alternativement gravées et peintes, comme sur les phylactères des anges, de part et d’autre du Christ.

À la base du linteau,nous observons également des vestiges peints d’inscription.


TECHNIQUE de MISE en OEUVRE



La pierre employée pour réaliser le tympan est une pierre calcaire provenant du plateau de Lunel (à quelques kilomètres de Conques), appelée localement le “Rousset”.
 Il s’agit d’un calcaire à grains fins, d’une dureté moyenne. Jean-Claude Bonne a montré que le tympan est constitué de vingt-quatre blocs 11. On note un constant aller-retour entre la sculpture et la stéréotomie (l’une jouant sur les caractéristiques de l’autre) : il y a coïncidence entre découpage stéréotomique et découpage iconographique. Aucun joint n’interrompt une scène ou un personnage hormis pour la scène de la pesée de âmes et dans un détail latéral des petites arcatures (jonction linteau et tympan, tout à gauche). Les blocs sont sculptés au sol puis montés sur l’échafaudage et mis en place.


Fig6
La plupart des blocs sont des carreaux posés en délit (le sens du lit de sédimentation est à la verticale). dans ce sens, les pierres calcaires ont une résistance à la compression bien moins importante que les blocs dont les lits de sédimentation sont horizontaux (il faut imaginer ces lits comme des piles de feuilles de papier). Trois dalles sont posées sur lit. Le poids total estimé est d’une vingtaine de tonne (fig. 6).


La répartition des forces est réalisée par les blocs verticaux de l’assise centrale (Christ) qui sont pris entre deux assises horizontales, ce qui contrecarre les déformations de la pierre et évite les fissures verticales. Les deux bandeaux permettent de répartir la charge plus uniformément sur les blocs et d’encaisser une partie du poids des blocs supérieurs.
 Le registre médian repose quant à lui sur des blocs monolithes formant un arc de décharge (sorte de linteau en bâtière) permettant le report des forces sur les piédroits et sur le trumeau (qui n’est pas d’origine). on note aussi comme un “encorbellement” des blocs centraux : plus on va vers le haut plus ils s’élargissent. Ainsi le bloc inférieur, plus étroit permet de faire reposer les blocs en bâtière sur le trumeau. Malgré cette construction plusieurs fissures sont apparues. diverses traces d’outils sont visibles, comme le trépan pour délimiter certaine formes, la pointe fine (fond), le ciseau droit, la gradine. on peut estimer que le sculpteur a pratiqué une ébauche des plans et une reprise des formes pour les adoucir. Les sculptures présentent un état de finition assez poussé. Seules quelques rares parties cachées sont juste épannelées. Quelques plans sont encore visibles et n’ont pas été adoucis. des incisions à la pointe sont visibles sur les faux parements des tours. Malgré le fait que la sculpture soit recouverte de polychromie, nous observons une finition sousjacente poussée, comme le piquetage de la barbe de saint Pierre par exemple.

CONSTAT D’ÉTAT DU SUPPORT


Le portail a subi diverses interventions antérieures. La majeure partie des anciennes interventions visibles aujourd’hui semblent correspondre au remontage du tympan en 1886 (trois ans après sa dépose). À l’origine les blocs n’étaient pas assemblés entre eux, et au XIXe siècle, ils ont été remontés avec des agrafes métalliques et des tenons. des compléments en grès jaune et en bois ont été réalisés dans la partie supérieure du tympan, ce qui semble être un souci de restauration destiné à être visible. Les joints et les comblements sont peut-être plus tardifs car ils sont en mortier de ciment. nous retrouvons aussi des restes de terres dans certaines zones en contre-dépouilles. Cette terre correspond à des restes de l’estampage à la terre de 1939 par Camille Garnier. En effet, un moulage complet du portail a été réalisé à cette époque et se trouve maintenant au Musée des monuments français à Paris. Diverses altérations structurelles sont à déplorer. nous avons relevé l’ensemble des fissures ainsi que les plans de cassures sur un schéma (fig. 9). La grande majorité (pour ne pas dire l’ensemble) des fissures semblent anciennes puisqu’elles sont bien visibles sur ce cliché de Mieusement datant d’avant la dépose du tympan en 1883. Ces fissures traversantes ont rendu nécessaire la pose d’agrafes lors du remontage des blocs. Lorsque cela était possible nous avons mesuré la largeur des fissures, afin de voir leur évolution dans le temps, ce que le scanner 3d nous permet aussi.


Fig. 7. Conques, façade occidentale : schéma des anciennes interventions (© Gaillard).

Quant à l’origine des grandes fissures du linteau, nous proposons, à titre d’hypothèse, un tassement différentiel du sol : le trumeau est probablement descendu ce qui augmente les forces agissant en flexion sur le linteau. La charge devient alors trop importante et fait céder la pierre, posée en délit. Cette descente des blocs inférieurs a conduit à la rupture des blocs supérieurs.

LUCIFER Fig8
 Les autres petites fissures se sont faites dans le sens du lit de la pierre (fig. 8-9).



nous constatons une forte érosion des sculptures dans la zone proche de l’intrados. Il s’agit d’une érosion ancienne, indice d’un ancien défaut de toiture au-dessus du porche 12 et d’une infiltration d’eau pendant de nombreuses années. Cette érosion se traduit par des pertes importantes de l’épiderme de la pierre rendant parfois illisible la sculpture. L’infiltration ancienne explique aussi la présence de concrétions blanches sur l’intrados qui résultent de la circulation d’eau dans le système poreux ou dans les fissures, ce qui amène la dissolution, puis la re-précipitation/réactivation de la chaux par évaporation ou sursaturation (fig. 10).



D’une manière générale, l’église n’est pas totalement assainie, car nous constatons des infiltrations sur le soubassement des deux tours (joints creusés jusqu’aux trous de boulin de la fenêtre inférieure). Cette faiblesse remonte jusqu’à mi hauteur du trumeau et correspond au front de remontées capillaires, avec érosion de la pierre, desquamation, alvéolisation et feuilletage du grès. des végétaux implantés entre les pierres en partie basse et les lichens ont colonisé les maçonneries dans les zones sensibles (lichens jaune et noir, lichens blancs incrustés jusqu’au tailloir du chapiteau).

ÉTUDE de la POLYCHROMIE

Dans le cadre d’une étude préalable demandée par Louis Causse, architecte des bâtiments de France, le restaurateur Hervé Langlois a réalisé quelques sondages à partir d’une nacelle placée devant le portail 13. Il s’agissait de comprendre l’aspect noir de certaines parties des sculptures, afin de savoir si nous étions en présence d’une infestation microbiologique et s’il y avait nécessité à traiter. En janvier 2012 le laboratoire MSMAP (B. Duboscq) a analysé cinq prélèvements de couleurs 14. L’étude a ensuite été complétée par Mélanie Convert (Université de Bordeaux3) 15 qui a réalisé une étude sur les polychromies de la façade, en se basant sur treize prélèvements de couleurs. Au total une vingtaine d’échantillons permettent d’ouvrir le vaste champ de recherches des polychromies anciennes.
Les prélèvements analysés au MEB et/ou Raman à Bordeaux indiquent une préparation romane au blanc de plomb, recouverte de couleurs vives. La palette romane comprend : le blanc de plomb, l’oxyde de fer, les ocres, le minium, le cinabre (sulfure de mercure), le bleu azurite, le vert malachite (carbonate basique de cuivre) et les acétates de cuivre 16, le noir de charbon. La malachite peut être une altération d’azurite.
Certaines zones du portail conservent une stratigraphie complète, depuis la couche romane, en passant par les repeints successifs, jusqu’à la dernière couche du XIXe siècle, comme par exemple sur le manteau du Christ 17 que l’on peut provisoirement interpréter ainsi :
Couche romane :
a) Préparation au blanc de plomb, épaisse, de teinte
blanche à bleutée ;
lb) Couche picturale bleu foncé (azurite broyée dans le
blanc de plomb).
Repeint XVe ou XVIe siècle :
c) Couche ocre jaune à base de plomb et de fer ;
d) Couche gris-bleu, mélange de blanc de plomb et
d’azurite, broyage plus fin
Repeint postérieur :
e) Couche picturale bleue d’azurite (repeint 2) ;
f) Altération de surface grise à base de blanc de plomb.
La datation des repeints reste difficile dans l’état actuel des recherches. Les données historiques permettent de supposer une première campagne de rénovation dans les années 1460-1490, au moment où d’importants travaux eurent lieu à la croisée du choeur (remontage de la coupole, peintures de la sacristie). Ces repeints peuvent également appartenir au XVIe siècle car en 1568 l’église fut incendiée par les Protestants. Après la reprise complète de la façade et le remontage du portail par Jules Formigé en 1886, des retouches ont probablement été nécessaires pour harmoniser l’ensemble. La présence de blanc de barytine (sulfate de baryum), pigment utilisé dès le début du XIXe siècle, atteste clairement de telles retouches. Toujours est-il qu’une couche de badigeon blanc, devenu grisâtre, recouvre encore partiellement les couleurs anciennes. Cette couche a heureusement protégé les polychromies médiévales lors de la campagne de moulage de 1939.
Le prestige de la façade romane est également perceptible par les dorures qui rehaussaient les sculptures de la partie centrale comme l’encolure et le galon du manteau du Christ 18, les étoiles de la mandorle, l’encolure de l’ange à l’encensoir. Les dorures sont en feuille d’or pur lorsqu’elles sont en relation avec le Christ et mélangées au cuivre pour les anges et autres éléments, ce qui devait également être le cas au grand portail de l’abbaye de Cluny qui date sensiblement de la même période (vers 1115-1120) 19. À Conques la dorure romane est posée sur une préparation blanche, puis orangée, posée à la mixtion (à l’huile probablement) 20, qui s’est altérée en noir ; le mordant de la dorure a migré et viré au noir dans le badigeon blanc plus récent. Les dorures ne sont pas visibles à l’oeil nu, excepté un détail sur le galon du manteau du Christ, perceptible de près. d’après la stratigraphie analysée, les dorures ont été reprises au XVe-XVIe siècle 21. Les altérations noires des dorures à la mixtion affectent des zones limitées visiteur a donc une perception visuelle de l’ensemble difficile à comprendre (fig. 11).



Fig. 11. Conques, façade occidentale : vue du Christ entouré d’anges

Sur le linteau gauche, le personnage d’Abraham conserve également toute la stratigraphie, depuis la couche romane jusqu’au repeint récent, par exemple sur son genou et devant sa poitrine. Il semblerait que nous puissions l’interpréter de la manière suivante :
a) Pierre
b) Préparation blanche
c) Couche bleu vif (XIIe siècle)
d) Préparation jaune (XVe ou XVIe siècle)
e) Rouge vif, type vermillon (repeint XVe ou XVIe siècle)
f) Couche gris-noir craquelée (XIXe siècle ?).
nous observons aussi des incrustations métalliques dans les yeux de certains personnages, notamment au centre du linteau gauche, où les yeux d’Abraham sont remplis de
petite boules grises, probablement du plomb (fig. 5). Parfois l’incrustation est altérée, comme dans le regard du moine tenant la croisse, au niveau médian 22. nous observons le même type de pratiques en Bourgogne romane durant la première moitié du XIIe siècle, dans la grande abbatiale Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Cluny (Cluny III, grand transept sud, chapiteaux des parties hautes) 23. Ces incrustations sont en verre bleuté à la cathédrale d’Autun 24, à la prieurale de la Charité-sur-Loire et à la Madeleine de Vézelay 25.
Les analyses de Mélanie Convert indiquent que la dernière couche de repeints comporte du jaune de plomb-étain ou stannate de plomb, attesté dès 1300 en France (portail roman de Cluny) et en Europe, puis très fréquent entre le XVe-XVIIe siècle. Ce matériau est également utilisé autour de 1750, puis redécouvert vers 1940 par Jacobi qui reconnaît deux types de jaune de plomb-étain. La dernière couche de repeint contient du blanc de barytine (sulfate de baryum), utilisé dès le début du XIXe siècle. La variété naturelle est extraite de gisements en Aveyron, en Lozère et dans l’Hérault.
Les reprises sont bien visibles sur les inscriptions cassées, qui ont été repeintes, peut-être dans les années 1460-1490, au moment où d’importants travaux eurent lieu à la croisée du choeur (remontage de la coupole, peintures de la sacristie). Ces repeints peuvent également appartenir au XVIe siècle car en 1568 l’église fut incendiée par les Protestants, le feu étant alimenté par les boiseries du choeur.



 Il est difficile de dire si le repeint correspond à un déplacement éventuel du tympan vers la façade extérieure, dans le but de gagner une travée dans l’église 26 (fig. 12).
Quelques sondages réalisés en octobre 2014 semblent indiquer que la couche romane n’est préservée que très partiellement (fig. 13). Cette couche devait probablement
être lacunaire à la fin du Moyen Âge, nécessitant des repeints. Au XVe ou au XVIe siècle, des réfections ont eu lieu, couche qui est visible un peu partout, de diverses manières.
Généralement c’est la préparation jaune qui transparaît, ainsi que des restes de couleurs pâlis. nous avons effectué quelques micro-sondages sous les badigeons récents qui
indiquent la présence de couleurs anciennes très vives (anges à droite en haut de la mandorle) appartenant à la couche médiévale tardive (XVe-XVIe siècle). d’autres sondages seraient nécessaires pour connaître l’étendue de cette couche.
La succession chronologique des repeints est également visible sur certaines inscriptions, notamment sur des cassures, comme le phylactère d’un ange situé en haut à gauche ou sur le nez d’un homme dans l’Enfer 27. Certaines inscriptions gravées à l’époque romane ont été enduites, puis repeintes (anges situés dans la partie droite de la mandorle) (fig. 12).
Si nous résumons nos observations, actuellement nous voyons le mélange de trois ou quatre couches picturales : la préparation romane au blanc de plomb qui a noirci, la
préparation jaune de la couche XVe-XVIe siècle, les restes de repeints du XVe-XVIe siècle et les restes gris-blancs plus récents (XIXe siècle ?). Il en résulte une vision globale compliquée et peu claire. La couche romane et le repeint plus tardif sont encore en partie cachés sous le dernier badigeon. Une étude approfondie s’avère nécessaire pour connaître l’étendue de chacune des couches et proposer des hypothèses de restitution de chacune d’elle, ce que nous avons commencé à faire à l’aide de quelques schémas préliminaires. En jaune, nous indiquons les zones où l’on voit la préparation ocre jaune de la couche XVe-XVIe siècle et en vert les repeints du XVe-XVIe siècles qui sont devenus visibles sous l’effet de l’érosion climatique. de telles données demandent à être étudiées plus précisément et de manière stratigraphique (fig. 14).



CONSTAT D’ÉTAT DES COUCHES PICTURALES


La façade de Conques subit des effets climatiques directs, avec l’alternance entre des épisodes de forte humidité (brouillard, pluie) et d’échauffement solaire important. En
effet au cours d’une même journée de fin octobre, nous avons mesuré une amplitude de plus 50 % d’humidité relative et des écarts de température allant de 5° C au matin
à 25° C l’après-midi. L’avant-toit n’est pas suffisant pour protéger des pluies battantes et des ruissellements d’eau.
Les couches picturales se dilatent et se rétractent en fonction de l’humidité ambiante, ce qui favorise leur écaillement au cours du temps. nous observons déjà d’importantes zones érodées, notamment toutes les parties laissant apparaître la préparation jaune du XVe-XVIe siècle, ce qui indique que les intempéries ont déjà fait disparaître le repeint médiéval et les badigeons récents. À moyen terme les différentes couches de polychromie du portail vont disparaître. Il est donc important de pouvoir les documenter le plus précisément possible maintenant.
Une fois que la polychromie a disparu, c’est la pierre qui est attaquée, ce que l’on peut déjà observer en différents endroits, où les infiltrations d’eau ont détruit non seulement l’épiderme, mais également la structure interne du matériau (fig. 15) .
Si la partie centrale du Christ entouré d’anges paraît en bon état, l’observation des zones de préparation jaune du XVe-XVIe siècle, indique clairement que le processus d’érosion est en cours. La partie droite du portail (Enfer) et la partie médiane gauche (Cortège des élus) sont fortement touchés par ce phénomène qui se traduit de diverses manières : soit sous forme de micro-éclatements de la pierre formant de petits cratères, soit sous forme de plaques feuilletées et usées en surface, ou encore sous forme d’altération chromatique (fig. 16).
Quant à la couche romane, elle semble n’être que partiellement conservée, et dans l’état actuel des recherches nous ne pouvons pas la cartographier précisément. Il faudrait réaliser une investigation systématique sur tous les éléments et réaliser d’autres analyses stratigraphiques pour mieux connaître son étendue réelle.
Les divers types d’altérations noires pourraient également nous apporter des indications : celle de la préparation au blanc de plomb de la couche présumée romane, bien visible au niveau des anges en haut à gauche du portail 28 ; ensuite celle des mélanges au blanc de plomb des repeints du XVe-XVIe siècle 29 et celle de la préparation des mixions des dorures 30 (fig. 16).
diverses altérations de couleurs sont également à déplorer, comme le palissement du bleu (azurite ?) visible sur l’ensemble du portail, ainsi que la modification de couleur sur les genoux des anges sonneurs de trompette, au sommet du tympan, coloration que l’on peut éventuellement imputer à des eaux d’infiltrations.


RÉSULTATS de SCANNING

Notre campagne de scanning a été réalisée sur trois jours, avec une moyenne de trois scans par heure. nous avons ainsi enregistré vingt-neuf scans de la face sculptée et dix scans du revers de façade, à différentes distances (1-6 m) et plusieurs hauteurs. Le scanner a été placé au sol, sur un mas télescopique et sur échafaudage pour les parties hautes. nous obtenons ainsi une couverture relativement précise des sculptures, avec une définition du nuage de points au millimètre près. Cette première campagne de numérisation permet de visualiser les différentes parties en 3d et de mesurer les différents blocs, voire de proposer des hypothèses de montage des blocs.
 Il est également possible de faire des simulations de restitution du trumeau d’origine qui comportait peut-être le relief de l’Annonciation, actuellement placé dans le bras nord du transept. Le revers de façade a également été numérisé, de manière à connaître l’épaisseur des différentes parties du portail. L’ensemble de ces relevés laserométriques représente 87,4 Go de données (fig. 17). Les scans ont été assemblés et traités sur le logiciel Scène 5.3, ce qui génère un modèle numérique assez lourd, nécessitant divers traitements de simplification et d’allégement des fichiers (sous Rapidform, 3dSMax, Mudbox, Photoshop et finalement Unity) pour devenir accessible à d’autres utilisateurs (dRAC, office de tourisme, mairie, etc.).
Les résultats de nos travaux permettent ainsi d’envisager des applications pédagogiques pour transmettre les résultats des spécialistes à un large public, en offrant une visualisation 3d en haute définition et en couleurs des sculptures.
Des applications ludiques pourraient être proposées pour explorer l’iconographie complexe des 124 personnages, expliquer les prouesses de la construction, les travaux de démontage/remontage au XIXe siècle et la campagne de moulage. Un jeu ludique de puzzle pourrait attirer les plus jeunes par exemple.



CONCLUSION

Une oeuvre aussi emblématique que la façade occidentale de l’abbatiale de Conques mérite toutes les attentions des spécialistes. Les détails techniques du montage médiéval de la façade sont incroyablement ingénieux et attestent du haut niveau de technicité des artisans au début du XIIe siècle. La façade de Conques marque l’aboutissement d’une évolution dans le montage des portails à linteau en bâtière, dont les prémices se situent à notre-dame du Port à Clermont-Ferrand, pour ne citer que cet exemple (1080-1100) 31.
Si l’étude des polychromies et les analyses révèlent la présence d’une couche romane et d’une campagne de repeints, probablement gothiques (XVe siècle), beaucoup reste à faire pour connaître l’étendue réelle de chacune de ces couches et proposer des hypothèses de restitutions colorées. La complexité stratigraphique des couleurs ouvre un nouveau champ de recherches.
Si les analyses qui ont été réalisées apparaissent comme les prémices d’une étude plus vaste, nous constatons que les matériaux des différentes couches picturales sont similaires à ceux utilisés sur d’autres façades de la première moitié du xiie siècle en Bourgogne (Cluny, Autun, Charité-sur-Loire) 32 et en France gothique 33. Pour permettre de restituer l’état de chacune des couches peintes, il conviendrait cependant d’effectuer une étude complète sur échafaudage, avec de nombreux sondages et des analyses complémentaires.Malheureusement l’état de conservation  commence à devenir préoccupant, en raison de différents facteurs que nous ne maîtrisons pas (écarts thermo-hygrométriques, pluies acides, etc.). Si l’agrandissement de l’avant-toit apparaît comme un impératif pour mieux protéger les sculptures des pluies battantes et de l’échauffement solaire, il ne suffira malheureusement pas pour préserver les couches picturales qui souffrent des écarts hygrométriques importants. En effet, un rapide constat a permis de montrer que les couches médiévales sont érodées par les intempéries et leurs effets (activation des efflorescences salines, condensation, etc.) ;
les strates colorées ont tendance à s’écailler et tomber en plaque. Peut-on proposer un dégagement partiel de la couche romane, sur un personnage par exemple, sans risquer de perdre des informations importantes ? Si les repeints ont protégé la couche romane pendant longtemps, nous constatons que divers phénomènes d’érosion climatique sont à l’oeuvre et que le rythme des dégradations a tendance à s’accélérer.

L’étude et la documentation s’avèrent primordiales pour garder en mémoire les informations liées à ces polychromies anciennes. dans l’état actuel des connaissances, nous ne sommes pas en mesure de restituer l’état réel des différentes couches peintes. Seuls quelques personnages ont bénéficié d’analyses stratigraphiques, laissant entrevoir des couleurs très vives et contrastées.
La numérisation laser offre de nouvelles perspectives d’étude pour les chercheurs : il s’agit non seulement de mieux comprendre comment était construite une façade médiévale, mais également de cartographier des données techniques de manière plus précise que sur un document papier. notre campagne de numérisation ne constitue qu’un essai préalable à d’autres études et notre projet pilote n’a exploré qu’une infime partie de cet ensemble hors norme. L’idéal serait de procéder à une campagne de scanning encore plus poussée, de manière à pouvoir produire un fac-similé complet du portail à un moment où il conserve encore des informations très abondantes. L’original étant fortement menacé par les effets climatiques, nous savons d’ores et déjà que les polychromies vont disparaître, et que l’épiderme de la pierre va continuer
à se dégrader. Aucune restauration, la plus exemplaire soi telle, ne pourra ralentir les effets climatiques qui ont d’ailleurs tendance à s’accélérer avec le réchauffement climatique. À l’instar des grottes ornées de Lascaux et Chauvet, peut-être faudrait-il proposer la dépose du portail original dans un lieu sûr, garantissant la préservation des informations, et la mise en place d’un fac-similé à l’identique.

Notes:
1. Vergnolle et al. 2009, 71-159.
2. Vergnolle 2009, 74.
3. Vergnolle 2009, 94 ; Huang 2014, 93-104.
4. Remontage de la coupole, construction de la sacristie, de chapelle
du Rosaire et de la chapelle St-Roch.
5. Causse 1986.
6. Vergnolle 2009 ; Formige 1989.
7. Épreuve sur papier albuminé (fonds documentaire de l’InHA, cote
nUM PH 8024).
8. Causse 1986.
11. Bonne 1985.
9. Vergnolle 2009.
10. Huang 2014.
12. La couverture en plaques de zinc comporte une bordure sans goutte d’eau. Le rejet par une petite gargouille en pierre (xixe s.) est trop proche de la façade, ce qui amène un écoulement qui a provoqué un dépôt d’algues vertes et noires, recouvrant la première sculpture (personnage)
13. Langlois 2013.
14. Dubosq 2012.
15. Convert 2012.
16. Produits identifiés par le MSMAP.
17. Convert 2012, Prélèvement P1.
18. Convert 2012, 74-79, 89.
19. Castandet & Rollier 2010.
20. Convert 2012, 74-80.
21. Convert, Prélèvements P3 et P10.
21. Convert, Prélèvements P3 et P10.
22. Ici l’incrustation est feuilletée dans un oeil, et replâtré dans l’autre oeil.
23. Castandet & Rollier 2012.
24. Ullmann 2011.
25. observations faites par l’auteur en cours de travaux.
26. Causse 1986, 13. Les travaux concernent la chapelle du rosaire, la sacristie avec ses peintures murales.
27. Il s’agit de l’homme devant la femme tenue par la corde.
28. Prélèvement P1 du laboratoire MSMAP qui indique une altération chromatique d’un rouge de plomb.
29. Convert 2012. Prélèvement P3 sur le fond vert d’un ange par exemple.
30. Convert 2012. Prélèvement P3 (galon du manteau du Christ), P10 (encolure de l’ange à l’encensoir), P13 (étoile de la mandorle).
31. Baschet 2012.
32. Castandet & Rollier 2012 ; Ullmann 2001. Pour la Charité-sur-Loire, un rapport d’analyses a été établi par le laboratoire ERM, Rassineux 2013.
33. La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Amiens 2020

BIBLIOGRAPHIE:

La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque, Amiens, 2000.
Baschet, J. (2012) : “notre-dame-du-Port : un puissant végétalisme et sa relève architecturale”, Images revues, histoire, anthropologie et théorie de l’art, Hors série 3 : “Inter” et “locus”, lieu rituel et agencement du décor sculpté dans les églises romanes d’Auvergne. http://imagesrevues.revues.org/1865#tocto1n10
Bonne, J.-C. (1985) : L’Art roman de face et de profil : le tympan de Conques, Paris, le Sycomore, coll. “Féodalisme”, 361 p.
Castandet, S. et J. Rollier-Hanselmann (2010) : “The Romanesque Portal of the Abbey-church of Cluny - Study of Polychromies”, Proceedings of the 38th International Symposium on Archaeometry, Tampa (USA), 10-15 mai 2010, open Journal of Archaeometry.
— (2012) : “La polychromie du grand portail”, Histoire Antique et Médiévale, HS n° 30, avril 2012, éd. Faton.
Causse, L. (1986) : “Conques : chronique d’une restauration”, Vivre en Rouergue, 11-19.
Convert, M. (2012) : Étude de la polychromie et des altérations chromatiques du tympan de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, mémoire de master2, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, Pessac.
Dubosq, B. (2012) : Étude de cinq prélèvements de polychromie. Tympan de l’abbatiale de Conques (Aveyron), laboratoire MSMAP, Pessac, janvier 2012 (dossier interne, non publié).
Formigé, J. (1989) : Mémoires de la Société des Lettres de l’Aveyron, 1882-86, tome 13, cité par Fau.
Huang, L. (2014) : “Le chantier de Sainte-Foy de Conques : éléments de réflexion”, Cahiers de St-Michel de Cuxa, XLV, 93-104.
Langlois, H. (2013) : Conques. Aveyron. Étude de la polychromie du tympan de l’abbatiale (non publié).
Ullmann, C., dir. (2011) : Révélation, le grand portail d’Autun, Lyon.
Rassineux, F. (2013) : Constat sanitaire et analyses dans le cadre de l’étude préalable à la restauration, Poitiers (non publié).
Vergnolle, E., H. Pradalier et n. Pousthomis-dalle (2009) : “Conques, Sainte-Foy, l’abbatiale romane”


____________________ Fin du texte intégral de

"Portails romans et gothiques menacés par les intempéries. Le relevé laser au service du patrimoine"
Collection Archéovision; N° 7
Ausonius Éditions, 2016.
Par J. Rollier, A. Gaillard, A. Mazuir

Avec l'aimable autorisation de l'éditeur et des auteurs ______________________________




Sur la frise du tympan une série de personnages : une main vers le ciel et une vers le sol tient une banderole vierge... tout un programme !!

C'est présisemment le thème du tympan de CONQUES !


2_ Faisons parler ce chef d'OEUVRE de l'art roman

En guise d'introduction:

Le message évangélique choisi:

Les deux enfants ou "petits" nimbés dans les bras d'Abraham explicitent le choix

de l'évangéliste Mathieu comme source d'inspiration pour ce tympan.

Évangile selon saint Mathieu XXV, 31...40

"Or, quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les saints anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Et toutes les nations seront assemblées devant Lui, et Il séparera les uns d'avec les autres, comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs.
Et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.

Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite :
 venez, vous qui êtes bénis de mon Père
,
possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde;
Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger;
 j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire;
 j'étais étranger, et vous m'avez recueilli;
J'étais nu, et vous m'avez vêtu; j'étais malade, et vous m'avez visité;
 j'étais en prison, et vous êtes venus me voir.»

Alors les justes lui répondront : «Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu t'avoir faim, et que nous t’avons nourri ? ou avoir soif, et que nous t’avons donné à boire ?
Et quand est-ce que nous t'avons vu étranger, et que nous t’avons recueilli ? ou nu, et que nous t’avons habillé ?
Ou quand est-ce que nous t'avons vu malade ou en prison, et que nous sommes venus te voir ?»
Et le Roi, répondant, leur dira:

«Je vous le dis en vérité,  chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits
qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.»

Ces "petits" sont représentés sur le tympan, dans les bras d'Abraham.
Et les bénis sont bien venus à sa droite dans le royaume préparé.

Mathieu XXV, 41...46

"Ensuite il dira à ceux qui sont à sa gauche:

Retirez-vous de moi, maudits, et (allez) dans le feu éternel, qui est préparé au Diable et à ses anges;

Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger;
 j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire;
J'étais étranger, et vous ne m'avez pas recueilli;
 j'étais nu, et vous ne m'avez pas vêtu; j'étais malade et en prison,
et vous ne m'avez pas visité.

Et ceux-là lui répondront aussi:
«Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu t'avoir faim, ou soif, ou être étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et que nous ne t'avons point assisté?"

Et il leur répondra: Je vous le dit en vérité, qu'en tant que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, vous ne me l'avez pas fait non plus.

Et ceux-ci s'en iront aux peines éternelles; mais les justes (s'en iront) à la vie éternelle.

Les maudits sont ainsi représentés à sa gauche.
Ceux qui n'ont rien fait de bon pour leur prochain
iront dans le Tarare.

Extraits de la chanson de Sainte Foy, la patronne de la basilique de CONQUES:


XXX. — « Dieu, notre Seigneur le glorieux, de toutes choses est souverain. Du Ciel il descendit ici-bas pour nous, et il se fit homme très bien doué, guérit les malades et les lépreux, nous donna le baptême dans l’eau. Son précieux corps fut pris ; les Juifs envieux le tuèrent.
Il détruisit Enfer le ténébreux ; il en tira les siens, qu’il reconnut pour preux. C’est celui-là que je voudrais avoir pour époux, quelque affaire que je m’en fisse avec vous, tellement il est pour moi beau et digne d’amour.

Son Martyr sous Dioclécien:

XXXII. — Vous pouvez entendre comment ce démon lui répond sans préambule : « Je vous le jure par les dieux de ce clocher et par ceux auxquels je fais offrande, vous paierez cher cet outrage : de la tête vous perdrez un quartier ». Alors il fit venir un de ses ouvriers qui lui fit un gril d’acier. Il l’y posa, sur le foyer, le corps tout nu, chaste et intact. Il lui fait feu de bois de noyer et d’autre du verger. Cela, elle ne le prisa pas un denier, car en Dieu elle a toute sa pensée, et elle fut fille de chevalier.

Ses promesses de miracles:

XLI. — Bien est favorisé ce territoire où Dieu amène si puissante sainte qu’il fait pour elle grands miracles et choses très jolies et jeux menus. Giraud, un prêtre mal tondu, arracha les yeux à Guibert, qui est son ami ; puis, quand il les eut perdus depuis un an, Dieu, pour elle, lui rendit la lumière. Si à elle vient homme aveugle ou muet, ou qu’une maladie tourmente beaucoup, ou si en prison il est retenu, ou par guerre déchu, après que devant elle il sera prosterné, qu’il soit jeune ou chenu, s’il est repentant des péchés, immédiatement lui viendront joie et salut. Maintenant je te prie, dame, que tu m’aides.


Et cette plaquette du VIIIe siècle.

Une des premières représentation du jugement dernier qui se trouve au musée Victoria-Albert à Londres:





Jugement dernier du musée Victoria-Albert de Londres.

Sur cette plaquette en ivoire de 13cm de haut du VIIIe siècle, soit deux siècles avant le tympan de CONQUES
  le CHRIST est représenté en Majesté
avec aussi le Léviathan

mais on n'y voit point de pesée des âmes


 C'est le Christ qui soulève les couvercles de deux cercueils
l'un des justes, l'autre des maudits
 lors de la résurrection à la parousie.
Les maudits comme les justes ressuscitent !
A droite comme à gauche un ange ressuscite les morts, lesquels récupèrent leurs âmes (des colombes)
A la droite du Christ les "bons" sont accueillis par un ange, ils sont vêtus.
A la gauche, séparés par une sorte de croissant, les damnés sont dévorés par le Léviathan.
Ils sont nus.


Et voici le TYMPAN de la basilique de CONQUES:



Le Christ lève la main droite vers le ciel, côté des saints où l'on voit Marie et Saint-Pierre s'approcher du trône.
mais de sa  main gauche Il montre le sol, côté damnés.

Un chapiteau de la galerie, donc antérieur, montre aussi le thème de deux orientations,
mais là ce sont des anges qui pointent l'agneau Pascal d'une main et le sol de l'autre !




C'est ce thème qui est repris en façade sur le tympan de CONQUES:

Le choix de vie, soit le paradis soit le sol (*), qui prend l'allure des tourments infernaux sur ce tympan.
Ce chapiteau montre des anges qui appellent à choisir la bonne voie, celle de l'agneau...
Celui qui choisit d'aimer et aider l'autre selon Mathieu.
Qu'avez-vous fait quand j'avais faim, ou soif, ou que j'étais....
 
Le tympan montre le choix de vie, mais aussi le juge final.

Le choix de vie sur le tympan est matérialisé de multiples façons:
_ par le Christ qui montre le ciel d'un côté et le tarare de l'autre.
_ par  la balance dite "pesée des âmes" (*)
_ et par ce chapiteau dans la nef qui est antérieur au tympan.
_ et aussi par ce personnage curieux qui tient la banderole ou rien n'est encore écrit.

* (le sol est maudit depuis Gn III, 17)
* (Voir sur ce site le développement sur la pesée des âmes et les balances
ainsi que les lanternes des morts)


J'ai vu sur ce tympan de CONQUES l'hésitation entre
les sculptures plutôt XIe qui montrent la pesée de l'âme : l'examen de conscience où l'on se juge 
et les sculptures plutôt gothiques qui montrent l'enfer et la parousie : le jugement futur et la damnation.

Plus tard les tympans des cathedrales montreront le Christ bénissant
et la balance n'apparaîtra plus!
Le jugement sera dès lors une évocation pure et dure du jugement dernier.

(La pesée des âmes, qui n'est décrite dans aucun texte connu disparaît des sculptures!)




Le CHRIST montre de ses mains deux directions opposées!
Il ne bénis pas!
Juge t-il, ou montre t-il deux voies ?
Il montre de sa main droite le ciel, et de l'autre le sol: un choix intime.

Côté ciel: l'amour du prochain menant à la félicité
Côté sol: l'indifférence aux autres et les vices, qui mène 
aux tourments.

(C'est le paradigme de la pesée)

En même temps l écriture sur les linteaux mentionne bien un jugement:

A droite: " SANCTORUM CETUS STAT XRISTO IUDICE LETUS"
"(? ) des saints est dans le jugement du Christ"
Il y a jugement du Christ mais réservé aux justes !

A gauche " HOMNES PERVERSI SIC SUNT IN TARARA MERSI"
"Les hommes pervers disparaissent dans le Tarare"
Les pervers sont ils jugés ou éloignés ? 

"DISCEDITE A ME M(ALE)DI"
"Éloigne toi de moi  maudit
."

(Voir Mathieu XXV, 41 et 46)

Le sculpteur représente les dits de Mathieu du § XXV

Aux pieds du Christ deux anges portent chacun un cierge.


A sa droite se trouve le paradis sur deux galeries avec trois niveaux;
A la galerie supérieure se trouvent des élus avec Saint-Pierre et Marie 
Puis Sainte Foy et la résurrection des élus
puis sur la galerie inférieure Abraham, des martyrs et les vierges sages.



A la gauche du Christ 4 anges dont deux font barrières pour repousser les "personnes dépravées" comme c'est écrit au-dessus!
Ils occupent toute la moitié du tympan dans un désordre organisé et voulu.


Au centre:
La pesée des âmes
Un ange tient la balance et le démon tricheur essaie de faire pencher de son côté...

Symbole du jugement du Christ à la parousie
ou bien examen de conscience immédiat?


 la pesée des âmes, juste en dessous du Christ.
A hauteur de la pesée:

 Des couvercles de tombeaux que des anges soulèvent côté droit du Christ  et côté gauche une âme se faisant dévorée par un quadrupède et des musiciens.

Remarquez les serrures différentes; pas de trou pour mettre une clé côté des damnés!!
C'est un tout petit détail...mais révélateur de la pensée du sculpteur !
Les maudits ne sont pas ressuscités !

Une cloison semble séparer les deux domaines
à la droite du Christ , les élus accueillis par un ange et à sa gauche un démon poussant les damnés dans la gueule de Léviathan.

Certains voient là une porte dérobée, invisible, le diablotin est surpris, il ne s'attendait pas à cela!

Remarquez que l'on arrive vêtu au paradis et nu pour être enfourné dans la gueule du Léviathan.

Remarquez le changement du style de l'écriture sur le linteau, puis le seul vide d'inscriptions, précisément sous l'"enfer".

Et remarquez surtout une des premières sculpture montrant les flammes de l'enfer:



Pour une des première représentation ou mieux évocation d'un jugement 
le sculpteur ne choisit pas les textes de l'apocalypse, mais plutôt l'évangile de Mathieu.


Au XIe les chapiteaux incitent à la conversion intérieure, au combat spirituel
 et la pesée des âmes est présentée comme un examen de conscience à faire
et non un jugement;
ces scènes ne sont jamais complétées par une évocation des flammes de l'enfer.

La balance est souvent tenue par l'archange Michel, tandis qu'un démon tricheur essaie de fausser la pesée.
Cette scène qui est universellement représentée en sculpture au XIe avec cependant des nuances importantes,
n'est relatée dans aucun texte, ni reconnu, ni apocryphe (connu).


Selon Mathieu c'est le Fils de l'Homme qui envoie ses anges pour séparer le bon grain de la mauvaise herbe,
et c'est le thème de ce tympan;
le sculpteur montre alors un ange pour effectuer la pesée des âmes et évoquer ce tri.

C'est  la croyance populaire qui situe le paradis dans le "sein d'Abraham",
scène également représentée au XIe sur les chapiteaux; pour recueillir l'âme du mendiant
de la table du mauvais riche,
et cette âme selon les évangiles va directement en paradis.
(Pas au futur mais immédiatement)

Évangile selon Luc XVI, 19–31
" Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli dans le séjour des morts,
 il leva les yeux ; et, tandis qu'il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein."

Dans la chanson de Roland, l'âme du chevalier est aussi portée directement en paradis par des anges.

Traditionnellement sur les plateaux de la balance des sculptures du XIe, il y a l'âme côté ange
et une pierre de l'autre.
(L'âme est vivante contrairement à la pierre!)

L'archange Michel est censé tenir la balance, le fléau penche toujours de son côté, malgré l'influence d'un être démoniaque tricheur.

Au XIe on meurt et l'âme des justes va en paradis (le sein d'Abraham) et les autres restent ou errent dans une sorte de schéol.

Le fait que les balances penchent toujours du bon côté, le fait que les flammes de l'enfer ne sont pas représentées, me pousse à dire que l'on ne croit pas, ou ne voulait pas croire à l'enfer au XIe !

Une "première" à CONQUES, l'enfer est montré avec flammes et tortures.




Quel message propose le sculpteur sur le tympan de CONQUES ?

_Le jugement à la fin des temps...
 ou bien le jugement intérieur...?


En regardant bien, c'est un mixte qu'il propose!


Ici d'un côté les justes ressuscitent, ils sont délivrés de leurs tombes par des anges
ils sont du côté des élus et vont rejoindre la Jérusalem céleste, juste en dessous de la résurrection.

C'est conforme à la plupart des textes et c'est pour moi une innovation en sculpture; laquelle consiste
à montrer des supplices infernaux.
Au XIe les sculpteurs incitaient positivement
ici commence l'incitation au choix de vie par la crainte ....
 
Côté "HOMNES PERVERSI" (les dépravés) le sculpteur ne représente pas de résurrection,
ce qui est dans la ligne du XIe où c'est une pierre sur le plateau de la balance, où
c'est le néant, le non être qui attend celui qui n'a pas fait le choix de la vie dans la spiritualité ou les voies du Christ.

Mais les temps ont évolués et nous sommes au XIIe, le sort des âmes qui n'ont pas encore reçu le baptême
lequel se faisait encore à l'âge adulte, pose un problème.
Le purgatoire est dans l'air et sera un dogme dans une centaine d'années...

L'enfer et ses flammes remplacent dès lors les scènes où les âmes se faisaient dévorées par leurs vices.

L'obscurantisme remplace progressivement l'appel à la sainteté par la conversion intérieure.

Cette transition se voit sur ce tympan:


_ En haut une âme se fait rôtir
(la vision de l'enfer)
_ En dessous des vices ou perversions se font tourmenter par des démons.


Le sculpteur est passé du présent évoqué par la balance au XIe
Qui n'est pas le jugement lors du retour du Christ,
mais l'appel à faire son jugement/examen de conscience pour choisir sa vie;
 
à l'évocation d'une situation future, à laquelle je ne suis pas convaincu qu' il adhère encore totalement....

pour preuves:
 les commentaires gravés sont majoritairement avec des verbes au présent et non au futur !




La résurrection
Des anges soulèvent les couvercles des sarcophages des justes
mais les damnés, de l'autre côté, ne ressuscitent pas !!

Par contre les saintes et saints vont sans jugement, sans résurrection, directement dans le sein d'Abraham
telle Sainte Foy déjà au ciel qui intercède:



Sainte Foy
Remarquez les menottes en ex-votos suspendus; en effet Sainte-Foy intercède pour libérer les prisonniers.
( Prisonniers de leurs vices qui sont destinés à être damnés?, sauvés par Sainte Foy en faisant ce pèlerinage)

La main, celle de Dieu auréolée du Chrisme, sort du ciel pour accueillir Sainte Foy 
comme c'est écrit au-dessus: "AD CELI GAUDIA" "la joie dans le ciel".

Les arcades symbolisent la basilique de CONQUES, on y voit l'autel avec un calice et la "chaise" de Ste Foy.
Cela est du temps présent et non futur!


Les anges, deux tournés vers Christ, l'un tient un encensoir et l'autre un livre.
Certains y voient "Le Livre de vie de l'agneau" , celui de l'apocalypse,
mais est-ce bien le livre dit des élus?

il y est écrit: " SIC NAT IUR:" et "LIB(I)  R TE" que les spécialistes ont interpolé "SIGNATUR:  LIBER  VITE"
"Le livre de la vie est scellé" selon l'apocalypse. (mais VITE me semble être imaginé , et l'apocalypse n'est au programme de CONQUES!).

(Personnellement j'aurai plutôt proposé   "SIG NAT( I)UR:" "LIB(I) R(E)  TE" ;

"signe donc" "pèse toi"

dans les sens: " Scelle ton destin, Fait ton examen de conscience".

 "libir ou libre" étant le vocable de la  balance écrit sur les zodiaques, pour le mois de septembre à l'époque)

 
Si le livre de la vie était au sens de déjà scellé, c'est plutôt la prédestination.... un autre sujet
mais le sculpteur a choisit le texte de Mathieu et non celui de l'apocalypse.

Je penche pour "Faites votre examen de conscience en rapport à ce que vous avez fait à votre prochain"




Afin de rejoindre le sein d'Abraham, comme ces deux "petits":






Le tympan de CONQUES montre les souffrances des damnés et les flammes de l'enfer.
C'est une nouveauté en sculpture.



Ne restez pas dans la perversité, vous seriez rejetés du royaume du Christ
ce que le sculpteur montre par

deux autres anges qui font écran pour délimiter le sanctuaire où trône le Christ.
L'un est armé d'une épée et d'un bouclier, l'autre porte le gonfanon, face à eux les " pervers" dans le "Tartare"!


Les musiciens et chanteurs font partie de ce lot



Les châtiments montrés ici sont la preuve d'une évolution dans les pensées et croyances.

Il n'y a que deux issues: le ciel ou l'enfer puisque le purgatoire ne sera inventé qu'en 1254,
c'est Dante qui le fera connaître dans sa "Divine comédie", ou bien la troubaritz
Marie de France qui parle d'espurgatoire dans ses lais.
 
On peut aussi se demander qui est damné: le vice ou une personne vivant dans le vice?
En effet on ne voit pas de résurrection côté des damnés!

D'ailleurs en Mathieu XIII, 41 :

"Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui ôteront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité"
Il y a déjà amalgame entre les scandales, les vices et les "pervers" ou damnés.

Le sculpteur évoque aussi le royaume dans le présent immédiat


La galerie de ceux qui sont déjà en paradis

Ils sont placés sous les noms des vertus, tenues par des anges,
au même niveau que le Christ, donc au ciel.

De droite à gauche: Marie et Pierre, nimbés. Pierre tenant la clé de la porte du ciel laquelle est juste au dessous.
Les 11 personnages suivants ne sont pas des saints, ni des vierges martyres, sauf les 4 derniers nimbés.
Probablement l'ermite-abbé Dadon, fondateur de l'abbaye avec son tau ou bâton.
Un abbé (reconnaissable à sa crosse tournée vers lui, certains y voient Bégon? qui fut à la tête du monastère de 1087 à 1107,
tandis que dans l'édition du Zodiaque Bégon ou un autre Bégon est identifié avec sa crosse à l'envers du côté des damnés car lui et ses neveux auraient pillé le trésor)
il est accompagné d'un moine signalant son innocence.
Un roi couronné (certains y voient Charlemagne?) tenant dans sa main droite un attribut que je n'ai pas identifié?
et qui devait tenir un bâton de dignitaire (cassé?) dans sa main gauche.
Derrière le roi deux personnages dont l'un porte ce qui ressemble aux tables de la loi, l'autre un coffre: une offrande royale? Une relique?
puis une femme?, la reine?
Puis les 4 personnages nimbés, un saint, un ermite barbu, une martyre (certains y voient Ste Foy) portant une palme?
 et un personnage assis (certains y voit Marie-Madeleine).

Ce sont certainement des personnages identifiables à l'époque, ayant de leur vivant soit eu une vie exemplaire, soit favorisé le monastère ou l'Église.


La galerie de ceux qui rejoignent le sein d'Abraham, symbole du paradis.

Le paradis se situe donc à deux époques :

_ Au dessus de Ste Foy ceux qui y sont déjà
puis Sainte Foy, celle que l'on vient solliciter et qui intercède pour les prisonniers
(prisonniers de leurs vices serait bien dans l'esprit du XIe qui représente les handicapés de la marche vers le ciel!)
_ Au dessous d'elle des ressuscités.

Remarquez la modernité de la Jérusalem céleste, c'est éclairé depuis les plafonds!
Mais non, ils sont dans la lumière, comme le disent les écritures!!

Au centre Abraham tenant deux "petits" auréolés, (voir le texte de Mathieu).
Les vierges sages tiennent leurs lampes allumées et les martyrs leurs palmes et une coupe
et les prophètes les rouleaux de parchemin et les apôtres leurs livres.

N'y a t'il pas là comme une inversion de niveaux?
Le sculpteur s'amuse t'il avec les premiers seront les derniers....

Je pense plutôt qu'il a du mal à situer le jugement dans le temps
celui de la fin des temps, ou bien il ne veux pas le situer dans le temps!
D'ailleurs les commentaires écrits sont au présent,
seuls les ecclésiastiques ont ajoutés ... futur


Il mélange les saints, Marie, Saint-Pierre déjà en paradis avec d'autres personnages connus à l'époque.

Nous sommes plus proche de  « Le Royaume de Dieu est au dedans (ou : ‘au milieu’) de vous. »
que des textes ! Sauf qu'il y a des ressuscités
Sauf qu'il y a les flammes de l'enfer ...



Le sculpteur évoque ici le texte de Mathieu XIII, 42-43
"Et ils (les anges envoyés) les jetteront dans la fournaise ardente; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Alors les justes luiront comme le soleil dans le royaume de leur Père
Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende"

Puis il a peut-être comme un remord ou un espoir:
En effet il y a comme une porte dérobée, invisible que franchissent des "damnés" !! à la grande surprise du démon enfourneur!
(Peut-être pour ceux qui font le pèlerinage à CONQUES, ils sont délivrés par Sainte-Foy)

Côté des élus, ceux-ci sont bien vêtus, pourquoi cette distinction?
De plus ils ne se distinguent que par leurs rôles dans la société plutôt que par leurs vertus!
(Ces riches ont-ils déjà donné aux démunis...?)

Les vertus sont nommées et se situent dans l'immatériel,  plus haut tenues par des anges, dans le ciel !

Par contre côté "HOMNES PERVERSIS" presque tous sont nus!
Quel est le sens de cette nudité face aux élus qui sont vêtus de beaux habits?
Tandis que les élus ressuscitent charnellement, je me pose la question concernant les "pervers".
Est-ce l'évocation de la nudité spirituelle, du vide, voire du néant?
Les damnés ont-ils une réalité existentielle?
Ou bien contrairement aux vertus qui sont sur des phylactères, les vices sont personnifiés?


Certains ont vu les personnages suivants:
un paresseux, un abbé et des moines pris dans les filets des démons, un hérétique, un faux-monnayeur
un roi et des princes mauvais, un gourmand, des musiciens, un braconnier, un chevalier orgueilleux (il est vêtu d'une cote de mailles mais son
armure ne l'a pas protégé!!), un couple dans la luxure, un avare (vêtu également), un menteur/calomniateur, des rapaces...

En raccourci, ce sont plutôt les vices qui sont condamnés
(damnés) 
de même que les vertus qui sont du ciel, tout en haut sur le tympan,
au-dessus de ceux qui sont dans l'Église terrestre et dans la Jérusalem céleste, seraient élues.

En effet seuls les personnages ayant eu un rôle positif dans la société sont élus, et ceci semble être indépendant de leurs vertus,
pour moi en contradiction avec le message du Christ relaté par Mathieu !


Et voici pour moi, l'énigme de la dernière phrase...



L'étude laser n'a pas révélée différentes époques dans la réalisation du tympan, alors
les deux derniers linteaux inférieurs seraient d'époque.

Dès lors pourquoi cette écriture bâclée pour terminer le message?
Ce "F" a peine tracé, qui n'est probablement pas d'époque?
Ce "VTVRVOO" travail d'amateur? Les spécialistes y voient "FUTUR"
Est-ce une signature?
Est-ce un graffiti?
Un rébus?
Un ajout postérieur?

Et surtout pourquoi n'y a t-il plus de message sous la représentation de l'enfer?
Est-ce le Néant représenté au XIe en lieu et place de l'enfer jamais montré?

Pourquoi n'y a t-il pas de résurrection côté des damnés?
Peut-on ressusciter du Néant?

Pourquoi ce mélange de présent et futur sur ce tympan?
Présent et résurrection à la fin des temps pour les élus
 Tartare pour les damnés.

Pourquoi les textes gravés sont-ils majoritairement au présent?
Comme si le jugement se situait à présent?

Pourquoi n'y a t-il pas de clé pour la porte de l'enfer?
Parce que Saint-Pierre lui-même ne l'a pas !
Ce n'est peut-être qu'une porte virtuelle ?

Pourquoi la balance penche t-elle toujours du bon côté?
Croit-on réellement à l'enfer?
Surtout pour y mettre des pierres ! (Celles qui sont dans le plateau côté damnés)



Les notions de "royaume de Dieu" et d "enfer" étaient-elles en questionnement
ou plutôt en recadrage, en repositionnement ?
 


Pourquoi cette fin bizarre des textes écrits ?

Le travail des sculpteurs mal préparé? Impensable !
___________________

Au vu de mon expérience des chapiteaux, j'émets l'hypothèse d'un courant au XIe, qui n'a pas encore inventé le purgatoire
et se pose encore bien des questions sur le ciel et l'enfer.

Ce qui expliquerai du coup, l'absence de tympans sur les façades des églises de la Saintonge?

Si l'on avait voulu écrire "FVTVRVM" ce n'est pas si compliqué !
Le "F" est pour moi un graffiti et peut-être également le deuxième "V"
Pour moi il n'est pas écrit un vocable assimilable au futur, j'opte pour un
double jugement au choix du pèlerin.
Présentement
pour éviter un jugement futur.


(Est-ce contraire aux écritures?
 je ne le crois pas, Paul envisageait-il l'enfer ?
 Pas sûr selon l'épître aux Éphésiens II-1,7
)

"Vous étiez morts dans vos fautes et dans vos péchés.....
Mais Dieu, qui est riche en miséricorde par sa grande charité dont il nous a aimés,
Lorsque nous étions morts dans (nos) fautes, nous a vivifiés ensemble avec Christ, par la grâce (duquel) vous êtes sauvés;
Et il nous a ressuscités ensemble et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ..."
 Pas sûr selon Actes III,19-20 s'adressant aux juifs incrédules
"Amendez-vous donc et vous convertissez, afin que vos péchés soient effacés,
quand les temps du rafraîchissement seront venus de la part du Seigneur, et qu'il aura envoyé Jésus-Christ,..."

verset 23
"Et quiconque n'écoutera pas ce prophète (Jésus), sera exterminé du milieu de son peuple."

C'est la foi qui sauve, et précisément ici l'on vient trouver Sainte Foy!
 Sainte Foi n'est-elle pas la fille de sainte Sophie (Sagesse divine),
 et la soeur d′Elpis (Espérance) et d′Agape (Charité),
les noms de trois vertus théologales, qui sont gravées sur des banderoles au-dessus des élus...

Et pour boucler la boucle avec le chapiteau de la nef ,
celui où un ange montre l'agneau au ciel d'une main et le sol de l'autre:
Jean I,29:
"...Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit: Voici l'agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde."

Rien à voir avec l'apocalypse VI, 12-17 qui devient au XIIe le leitmotiv avec le retour
du Christ dans la terreur :
" Et les rois de la terre, les grands du monde, les riches, les capitaines et les puissants, tous les esclaves
et toutes les personnes libres se cachèrent dans les cavernes, et dans les rochers des montagnes
Et ils disaient aux montagnes et aux rochers:
Tombez sur nous, et cachez-nous de devant la face de celui qui est assis sur le trône
et devant la colère de l'agneau;
Car le grand jour de sa colère est venu, et qui pourra subsister?"


Ma déduction et conclusion:

Ce tympan montre la transition entre:

 les croyances du XIe:
Pas d'enfer représenté
Beaucoup de pesée des âmes pour orienter sa vie dans plus de spiritualité maintenant.
On évoque la conversion intérieure, qui doit remplacer les pénitentiels
qui effacent les fautes une fois la pénitence accomplie, même sans repentance.
On est dans le positif.

et les croyances plutôt XIIe gothiquesPensez-y:
L'enfer est représenté.
Le jugement dernier remplace la pesée
On évoque la crainte du jugement, avec les tourments de l'enfer, le négatif!
On évoque les textes de l'apocalypse...  pas encore à CONQUES.
On invoque à tour de bras les saints et la Vierge pour intercéder.
On va bientôt délivrer des indulgences pour éviter les tourments du purgatoire...
C'est le moyen-âge et son obscurantisme qui commence !

(
Pensez-y: l'extrème droite manipule en usant des peurs...)

______________________________________________________


Voilà j'aurai essayé de faire parler le tympan de CONQUES !



Les inscriptions du tympan:


Des mots sont imaginés ou interpolés ou extrapolés du texte de Mathieu, certains sont lourds de sens !
 "Le Seigneur reviendra pour juger",
 "...au feu éternel",
 "le livre de vie est scellé",
"...le jugement futur"

Source des inscriptions et traductions: Internet

Faire parler les 240 chapiteaux, c'est trop, celui-ci résume tous les autres:

 

A venir le chapiteau préféré de frère Pierre-Adrien en pdf.

A visiter aux alentours de CONQUES

Ruelle de CONQUES, porte du Bary.


La fontaine romane du Barry, rue Charlemagne à CONQUES


Bernadette sur le chemin de Compostelle passant par l'ermitage St-Léonard de Monédiès, avril 2022.


L'ermitage restauré sur le chemin de Compostelle à 1h1/2 de marche.


A.D. mai 2022

Retour à l'ART ROMAN en Saintonge